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https://www.liberation.fr/politiques/2020/03/13/tout-changer_1781625 Par Laurent Joffrin, directeur de la publication de Libération — 13 mars 2020 à 18:42

Une fois la peur passée… les affaires vont reprendre comme avant et « on » aura des histoires à raconter à ses petits-enfants.

Le système de santé livre une guerre à un virus dont l’enjeu serait finalement plus politique et économique que médical. L’avenir le dira peut-être. Les gens meurent habituellement loin des unes de médias partagées massivement. Nous vivons une opération majoritairement psychologique : pourquoi ? Ce serait une diversion, de la poudre jetée pour nous obliger à détourner le regard de la réalité de la situation de notre système de santé, une mesure radicale afin de compenser des lacunes structurelles résultant de choix politiques depuis l’établissement du numerus clausus des médecins en dépit d’une perspective connue d’augmentation et de vieillissement importants de la population.

Pour parler en termes comptables, qu’est-ce que 10 000 morts dans notre pays en temps normal ?

Pour faire une guerre, il faut des êtres humains pour occuper le terrain. L’ennemi n’est pas le virus mais la personne contaminée. La guerre oblige à la mise en oeuvre de tous les moyens disponibles. Si ces moyens sont comptés (personnel médical, lits en chambre adaptée, matériel médical), la guerre fait beaucoup plus de dégâts. Il reste l’option consistant à paralyser/cloisonner/compartimenter/étanchéifier le pays pour compenser les lacunes du système médical. Les économies faites avant se paient largement aujourd’hui.

L’hystérie gagne. Les hypochondriaques rayonnent parmi nous comme autant de prophètes de l’hygiénisme.

L’autorité politique met un coup d’arrêt à la sacro sainte liberté de circulation des biens et des personnes si chère aux chasseurs de profit. Plus vite on pourra mettre un terme à cette crise sanitaire, plus vite les affaires pourront reprendre. La politique, avec l’aide des médias, a repris la main sur le fonctionnement de la société car elle en a le pouvoir. Et elle veut que cela se voie espérant un dividende de cette gestion autoritaire. D’un autre côté, les politiques n’ont pas d’autre choix face aux exigences d’une population qui n’accepte plus les épreuves. A la fin tout le monde se félicitera et on n’en tirera pas les vrais enseignements.

Le monde de l’entreprise va être purgé, comme celui de la finance au passage. On pourra tout mettre sur le dos du virus et non de notre organisation bancale. Ceux qui auront survécu difficilement en tireront des leçons pour leur stratégie de production, et leur stratégie tout court. Les plus costauds continueront en prenant des précautions qu’ils finiront par laisser tomber avec la logique de la marge et de la distribution des dividendes. Pendant les guerres mondiales, les capitaines d’industrie ont continué à faire leurs affaires, y compris avec le régime nazi. La guerre a surtout frappé les petites et moyennes entreprises.

La « guerre » est une information simple et claire à destination d’une population qui va devoir faire un énorme effort collectif.

Je vois l’exemple de l’armée : les dividendes de la « paix » ont amené à réduire les formats au point que les armées seraient incapables de faire face à une guerre conventionnelle, y compris sur le territoire national. Personne ne croit à un tel scénario. Mais il en existe d’autres qui nous placeraient dans la même situation. Même chose pour la Santé : l’optimisation de l’outil industriel des hôpitaux ne permet pas de faire face à des montées en puissance car il n’y a plus de gras, comme dans une entreprise qui a réduit ses stocks et travaille avec des intérimaires pour les pics d’activité. Les métiers techniques ne peuvent pas fonctionner ainsi à la demande.

La santé est comme l’armée : c’est une assurance vie pour la société. Elle a forcément un coût quand on ne s’en sert ou qu’on ne la formate pas au regard de scénarios de crise majeure réalistes. Les scénarios sont comme les indicateurs de performance : quand les seuils ne sont plus atteignables ou qu’ils n’arrangent plus les décideurs, il suffit de les changer pour que la situation affichée soit satisfaisante.

L’optimisation n’est pas le changement. L’optimisation reste de l’optimisation que ce soit pour la Santé, l’Education, la Sécurité, la Défense… que des domaines régaliens (quand, de plus, ils ne sont pas confiés à des opérateurs privés). L’optimisation est le refus de la situation anormale, inscrite dans la durée. L’optimisation est l’ennemie de l’inertie de toute organisation. J’en reviens à mon indicateur « ouille! » évoqué dans un autre article. L’optimisation peut être une marque d’incompétence, celle du gestionnaire face au décideur visionnaire, qui s’engage. Le problème en politique vient du fait que les décideurs se succèdent trop vite et ont à coeur de remettre en cause ce que le prédécesseurs a mis en place. JSCOB…?

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